
Scarlett HADDAD -
Dans une volonté réelle d’initier un véritable processus de questionnement notamment au sujet des fonds publics, le président de la commission parlementaire des Finances, Ibrahim Kanaan, a convoqué les députés membres de cette commission à des réunions successives quatre jours de suite, à partir de lundi et jusqu’à jeudi, pour étudier plusieurs dossiers, notamment les rapports de l’Inspection centrale et du Conseil de la fonction publique sur les embauches considérées comme illégales.
Il faut préciser à cet égard qu’après l’adoption de la nouvelle échelle sur les salaires de la fonction publique en février 2017, le Parlement avait voté une loi le 21 août de la même année (la loi n° 46) interdisant toute nouvelle embauche dans les ministères et les établissements publics, notamment pendant la période pré-électorale et pour ne pas alourdir encore plus les dépenses budgétaires. De plus, en principe, l’embauche dans la fonction publique se déroule selon un mécanisme précis, qui suppose un passage obligé par le Conseil de la fonction publique. Or, après les élections législatives de mai 2018, la question des embauches dans l’administration a été soulevée et l’Inspection centrale a été poussée à mener une enquête sur le sujet. Son directeur, le juge Georges Attiyé, avait déclaré avoir eu beaucoup de mal à obtenir les informations nécessaires auprès des ministères et des établissements publics, en dépit des demandes répétées qu’il leur avait adressées. Finalement, il a pu rédiger son rapport qui a été soumis aux autorités et notamment à la commission des Finances.
Ibrahim Kanaan s’est donc saisi de l’affaire et a immédiatement réagi en convoquant à des réunions successives pour discuter du rapport. Celui-ci évoque en fait 4 695 embauches effectuées après la publication de la loi 46. Selon un député membre de la commission, les 4 695 embauches ne concernent que les ministères et établissements publics administratifs, c’est-à-dire qu’il n’y est pas question des embauches dans les institutions militaires et dans les forces armées, car alors le chiffre dépasserait les 8 000 embauches. À travers les réunions de la commission des Finances, Ibrahim Kanaan souhaite donner un nouvel élan à la lutte contre la corruption prônée par le chef de l’État. Il souhaite également instaurer un mécanisme de questionnement loin des règlements de comptes politiques habituels.
Selon plusieurs députés participant aux réunions de la commission, les réunions de lundi et de mardi ont été marquées par le sérieux. Ibrahim Kanaan a commencé par mettre sur la table le rapport de la fonction publique sur les embauches au cours de l’année précédente, sachant qu’à partir de l’été 2017, date de la promulgation de la loi interdisant les embauches, le précédent gouvernement, alors en pleine fonction, préparait déjà l’organisation des législatives de 2018. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il avait été décidé de ne plus procéder à des embauches dans le secteur public pour ne pas que cela devienne un instrument électoral.
Malgré cela, selon le rapport soumis aux députés, il y aurait donc eu 4 695 embauches dans plusieurs ministères au cours de l’année précédente, c’est-à-dire dans la période qui a précédé la tenue des élections législatives. Ce qui laissait supposer que ces embauches pouvaient être dictées par des raisons électorales, sachant que depuis plusieurs décennies, certaines parties utilisent ce procédé pour renforcer leur popularité et conforter leur position dans le contexte électoral, aux frais de l’administration.
Ce qui semble certain, selon plusieurs députés membres de la commission, c’est que ces embauches ne se sont pas déroulées selon le mécanisme légal habituel. Autrement dit, elles ne sont passées par le Conseil de la fonction publique. Par conséquent, elles sont entachées d’irrégularités. Selon des députés membres de la commission, ces irrégularités ont poussé des députés présents, notamment Anouar el-Khalil, membre du bloc du Développement et de la Libération (de Nabih Berry), à protester vivement, demandant l’annulation pure et simple de ces embauches. Ces derniers temps, Anouar el-Khalil hausse en effet le ton au sujet de toutes les irrégularités, dans le cadre de la lutte contre la corruption. Il avait d’ailleurs eu un accrochage avec le CPL à ce sujet.
Mais dans le cadre des réunions de la commission des Finances, la proposition d’Anouar el-Khalil n’a pas fait l’unanimité. Un député du bloc de la Résistance, Ali Fayad, a appelé à la raison, loin des surenchères. Il a affirmé qu’il ne fallait pas jeter de l’huile sur le feu et aborder ce dossier de façon rationnelle. Le président de la commission a abondé dans ce sens, précisant que toutes les embauches ne peuvent pas être mises dans le même contexte. Si certaines ont été faites pour des raisons électorales, d’autres ont été faites pour combler des vacances dans l’appareil administratif. Ce problème est d’ailleurs évoqué dans le rapport du Conseil de la fonction publique qui rappelle notamment qu’en ce qui le concerne, il souffre d’une vacance de près de 60 % dans son personnel.
Tout cela pour rappeler que dans certains cas, les embauches étaient nécessaires pour le fonctionnement de l’administration, mais elles n’ont pas respecté le mécanisme légal. Ali Fayad a alors proposé d’étudier dossier par dossier pour faire une distinction entre les embauches purement électoralistes et celles qui sont utiles à l’administration. L’idée a été adoptée et le président de la commission a insisté sur la nécessité de faire un travail sérieux, loin de toute surenchère politique et populiste. Dans ce dossier médiatisé, il souhaite éviter les règlements de comptes politiques, pour instaurer une nouvelle méthode qui respecte à la fois la loi et les intérêts des citoyens.
Dans le contexte actuel de tensions internes, l’affaire s’annonce ardue, d’autant que certains ministères cherchent déjà à ralentir le processus, misant sur la lassitude de la commission.
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