Scarlett HADDAD
Près de dix heures de vol (à cause du blocus aérien et terrestre imposé à son pays) pour un aller-retour et trois heures à Beyrouth : tel est le cadeau de l’émir du Qatar au sommet arabe pour le développement économique qui s’est tenu au Liban dimanche. L’émir Tamim a, par cette démarche, relevé le niveau de représentation des pays arabes à ce sommet tout en montrant aux dirigeants saoudiens qui mènent le blocus contre son pays qu’il peut, quand il le veut, se déplacer et s’asseoir aux côtés des représentants des autres pays arabes. Il faut préciser qu’il y a un peu plus d’un mois, l’émir du Qatar avait refusé de participer à la réunion du Conseil de coopération du Golfe qui s’était tenue à Riyad le 10 décembre 2018, se contentant d’y envoyer un représentant. Si sa visite éclair à Beyrouth était donc essentiellement un message adressé aux dirigeants saoudiens et à leurs alliés des pays du Golfe, elle a quand même été perçue par les Libanais comme une aubaine, non seulement parce que, comme l’a insinué le ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil, elle a permis, avec la participation du président mauritanien, de briser le blocus politique imposé au sommet de Beyrouth, mais aussi parce qu’elle a été suivie de la décision annoncée par le vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères du Qatar Abdel Rahmane ben Jassem al-Thani d’acheter des bons du Trésor libanais pour un montant de 500 millions de dollars.
Cette initiative est, à elle seule, une bonne nouvelle pour l’économie libanaise, car elle balaie les craintes d’un effondrement financier surgies au cours des dernières semaines. La décision du Qatar est donc perçue à Beyrouth comme un témoignage de confiance dans l’économie libanaise et dans la solvabilité du Liban. Au moment où les États-Unis imposent de nouvelles sanctions au Hezbollah et posent des restrictions sur les transactions financières bancaires au Liban, la décision du Qatar ouvre de nouvelles perspectives économiques pour le Liban.
Mais la présence de l’émir du Qatar et la décision annoncée après son départ ne sont pas les seules raisons de la satisfaction des officiels.
Selon une source diplomatique libanaise, le sentiment d’avoir réussi dans l’organisation de ce sommet chez les responsables libanais dépend en grande partie de ce qu’ils en attendaient. Ceux qui croyaient que le sommet allait relancer la vie économique libanaise et faire des miracles à ce niveau se trompaient lourdement. Dans la pure tradition des sommets arabes, qu’ils soient économiques ou politiques, une grande partie de la réussite tient à la tenue même du sommet, en raison des divisions entre les pays arabes qui ne parviennent presque jamais à apparaître unis. On se souvient ainsi des rivalités historiques entre l’Irak et la Syrie, la Libye et l’Arabie, l’Algérie et le Maroc, le Koweït et l’Irak, etc. Dans le passé, seule l’hostilité affichée contre Israël permettait de donner une impression d’unité, mais ce n’est plus aussi vrai aujourd’hui. C’est pourquoi la tenue du sommet, à la veille du sommet de Varsovie, dirigé contre l’Iran, et alors que le monde arabe est déchiré par plus d’un conflit et qu’il n’est même pas uni dans l’attitude à adopter envers la République islamique, est en elle-même une gageure. Surtout pour le Liban lui-même qui est divisé sur cette question et sur bien d’autres, notamment la relation avec la Syrie. La solution de facilité aurait été de demander son report, mais le chef de l’État a voulu relever le défi, convaincu que la tenue du sommet, justement en dépit de toutes les entraves, est bénéfique pour le Liban et montre d’abord que les Libanais peuvent mettre de côté leurs divisions pour assurer la sécurité de leurs hôtes et ensuite que le Liban reste un espace de dialogue et de retrouvailles en dépit des circonstances difficiles. Le report aurait ainsi signifié que le pays renonçait à son rôle rassembleur, justement à cause de sa diversité, ou n’est plus en mesure de le remplir. Ce qui lui aurait fait perdre une partie de son identité spécifique, qui est aussi sa grande richesse, surtout en cette période de radicalisations et de replis identitaires, dans la région et dans le monde.
Le chef de l’État et son équipe ont donc tenu absolument à maintenir le sommet à la date prévue. Malgré quelques couacs protocolaires, tout s’est finalement bien passé. Ne serait-ce que pour cela, le Liban officiel pouvait donc se déclarer satisfait. Mais il y a eu plus que cela. D’abord, la résolution concernant les déplacés syriens qui, pour la première fois, évoque la possibilité d’inciter les déplacés à rentrer chez eux en leur fournissant des aides dans leur pays. Après une discussion animée lors de la réunion de vendredi, cette formule a été adoptée à l’unanimité des participants et constitue une première dans l’approche du dossier des déplacés syriens. Même si elle n’est pas immédiatement appliquée, elle constitue un document que le Liban peut désormais brandir dans les réunions internationales consacrées à cette question.
Autre raison de satisfaction pour le Liban, l’adoption du projet d’un fonds d’encouragement pour les projets portant sur l’économie numérique, qui touche les secteurs privé et public. Ce fonds dont le montant devrait être de 200 millions de dollars a déjà réuni la moitié de la somme, grâce aux émirs du Koweït et du Qatar qui y ont déposé chacun 50 millions de dollars.
Enfin, le projet du président Aoun de créer une banque pour financer la reconstruction des pays ayant été le théâtre de guerres a été adopté. Il permet en quelque sorte d’aborder le thème de la reconstruction de la Syrie et du Yémen sans entrer dans les méandres politiques et sans donner l’impression d’un vainqueur et d’un vaincu. Ce projet devrait se concrétiser au cours des prochains mois car le chef de l’État compte organiser des réunions concrètes sur le sujet au printemps.
Pour toutes ces raisons, le Liban se considère satisfait. Non seulement le sommet s’est déroulé sans incident, mais il a aussi adopté des résolutions qui pourraient se concrétiser...